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Editions Al Dante, parution le 10 juin 2017 : La poésie motléculaire de Jacques Sivan

J’écris dans la lignée du « corps sans orga­nes », du corps glos­so­la­li­que d’Antonin Artaud et sur­tout de Raymond Roussel. Je réflé­chis non pas à un corps clos aux contours bien défi­nis et aux fonc­tions hié­rar­chi­sées (âme, raison, orga­nes), tel que nous l’a trans­mis la tra­di­tion huma­niste, mais à la mul­ti­pli­cité de corps poreux, ouverts, ins­ta­bles ; de corps mot­lé­cu­lai­res d’autant plus énergétiques que l’on faci­lite leur per­ma­nente inte­rac­tion. Grappes ou blocs de cel­lu­les voca­les, aux colo­ra­tions varia­bles, qui se pro­non­cent selon un dis­po­si­tif qui tente d’ins­tru­men­ta­li­ser le hasard plutôt que de l’éliminer.

Le chan­tier poé­ti­que de Jacques Sivan (1955-2016) est cer­tai­ne­ment l’un des plus pas­sion­nant qu’il nous est donné d’explo­rer. Inventeur d’une écriture mot­lé­cu­laire (une écriture désaf­fu­blée des conven­tions et des codes contre les­quels l’auteur nous invite à résis­ter), Jacques Sivan réin­vente une langue qui reflète la com­plexité plu­rielle du monde tout en témoi­gnant de son rap­port au monde, de son expé­rience de vivre. Ici la poésie est pensée en action. Je vis mon écriture comme une façon de voir et, inver­se­ment, l’action de voir comme mon mode d’écriture le plus intime, le plus vrai. On ne voit pas seu­le­ment avec les yeux mais avec tous les sens et aussi, dans tous les sens. Le corps est donc un dis­po­si­tif sen­si­tif com­plexe en per­pé­tuelle muta­tion. Voir/écrire est un acte indis­so­cia­ble, dans la mesure où l’écriture est tou­jours un pro­ces­sus de réé­cri­ture, un pro­ces­sus d’ajus­tage des conti­nuels écarts des/du sens.

Cet ouvrage, qui conti­nue autre­ment ce chan­tier, donne à lire un impor­tant choix de textes écrits entre 1983 et 2016, sorte de biblio­thè­que por­ta­tive qui permet d’appré­hen­der toute la sin­gu­la­rité de cette œuvre. En ouver­ture, les pré­fa­ces de Vannina Maestri, Jennifer K. Dick, Jean-Michel Espitallier, Emmanuèle Jawad, Luigi Magno et Gaëlle Théval nous offrent quel­ques pistes de lec­ture pour mieux abor­der cette poésie hors du commun, notam­ment en poin­tant les liens affir­més entre cet uni­vers poé­ti­que et ceux d’ainés tels que Denis Roche, Raymond Roussel, Charles Olson, Maurice Roche ou Marcel Duchamp…

Ouvrage publié avec le concours du CERCC, à la suite de la Master Class orga­ni­sée à l’ENS de Lyon le 15 mars 2017

Éditer un tel volume pour saluer une œuvre impor­tante de ces trois der­niè­res décen­nies (Jacques Sivan : 1955-2016) est tout à l’hon­neur des éditions Al Dante, à nou­veau pilo­tées par son fon­da­teur Laurent Cauwet : de la belle ouvrage, pour les yeux comme pour les oreilles ! Mais nulle folie : ce ne sont point des œuvres com­plè­tes, mais un choix de textes parus en revues et/ou en volu­mes entre 1983 et 2016 (textes inté­graux ou extraits : Album photos, Le Bazar de l’Hôtel de ville, Sadexpress, Similijake, Des vies sur deuil polaire, Alias Jacques Bonhomme, Pendant Smara...).

Les textes limi­nai­res, signés Vannina Maestri, Emmanuèle Jawad, Jennifer K. Dick, Gaëlle Théval, Luigi Magno et Jean-Michel Espitallier, cons­ti­tuent une excel­lente ouver­ture sur la poé­ti­que de Jacques Sivan : l’écriture mot­lé­cu­laire res­sor­tit à un art du mon­tage, à une poésie du dis­po­si­tif, au ready-made ducham­pien (G. Théval). Ni com­plè­te­ment pho­né­ti­que, ni com­plè­te­ment glos­so­la­li­que, c’est un idio­lecte qui remet en ques­tion la lisi­bi­lité ambiante, se veut cri­ti­que jusqu’à revê­tir une dimen­sion poli­ti­que évidente, comme dans Le Bazar de l’Hôtel de ville. Des "blocs d’écritures" pour expri­mer "des frag­ments de réa­li­tés" (V. Maestri) : c’est dire que cette écriture pose la ques­tion de la "dif­fi­cile appré­hen­sion" du monde (cf. E. Jawad).]

Fabrice Thumerel

Isbn : 978-2-84761-715-3 15 x 21 cm | 456 pages

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